par Françoise DASTUR

Cannes – 22 et 23 avril 2006

I. PENSÉE GRECQUE :

1. Homère et la question de l’unité de l’homme : le corps comme faisceau de forces
2. Platon : la conception du corps-tombeau de l’âme
3. Le matérialisme antique et la question du corps

II. LE CHRISTIANISME
1. Péché et condition corporelle de l’homme
2. Résurrection et corps « glorieux »
3. La tradition ascétique


III. LES TEMPS MODERNES

1. Le dualisme cartésien
2. Le matérialisme français et la question du corps
3. La réhabilitation du corps chez Nietzsche

IV. EPOQUE CONTEMPORAINE
1. La question du corps propre chez Husserl et Merleau-Ponty
2. Psychanalyse, psychiatrie et condition corporelle
3. Culte et refus du corps dans la pensée et la société contemporaine

INTRODUCTION GENERALE

Ce qui caractérise en propre la tradition occidentale de pensée par rapport à d’autres univers de pensée, comme par exemple la tradition chinoise, indienne ou africaine, c’est le statut particulier qu’elle attribue au corps et la séparation, voire même le dualisme qu’elle établit entre le corps et l’âme. Il y a ainsi une expérience proprement occidentale de la corporéité, c’est-à-dire une manière de se rapporter à son corps qui est le résultat de toute une histoire et qui détermine étroitement les comportements jusque dans la prétendue redécouverte du corps et de la corporéité qui est l’apanage de la période la plus récente de la modernité.
Dans les quatre exposés qui vont suivre, je me propose de reconstituer de manière schématique ce que l’on pourrait nommer une histoire du corps en Occident, de la pensée grecque à l’époque contemporaine, en passant par le christianisme et la période classique. J’insiste sur le caractère schématique de cette entreprise, car une telle investigation pourrait donner lieu à une recherche quasiment encyclopédique s’étendant sur plusieurs années. Il me semble qu’il est cependant possible, en un espace réduit de temps, de mettre en évidence les traits fondamentaux de la conception occidentale de la corporéité, traits fondamentaux qui ont été profondément intégrés dans la culture et dans l’éducation et qui déterminent de manière d’autant plus profonde qu’elle est le plus souvent inconsciente la relation que nous entretenons en Occident avec notre corps.
Comme nous le verrons, c’est seulement à l’époque classique et dans le sillage du cartésianisme que s’établit un véritable dualisme entre le corps et l’âme. Mais il a été préparé de longue date depuis les tout débuts de la pensée occidentale, d’abord en Grèce, puis dans l’Occident chrétien. Et l’on peut légitimement se demander si le renversement de ce dualisme, tel qu’il s’est accompli d’abord avec Nietzsche à la fin du XIXe siècle, puis avec la philosophie de l’existence au XXe siècle, est véritablement parvenu à changer la conception que se font nos contemporains de leur corporéité. Car en Occident, le corps continue à faire question : il a certes changé de statut, il n’est plus infériorisé, mais au contraire valorisé ; mais cela ne veut nullement dire, nous le verrons, que la condition corporelle soit considérée comme allant de soi.
Il nous faut donc commencer par nous demander si cette opposition qui nous paraît aujourd’hui encore si évidente entre le corps et l’âme, entre le côté « matériel » de notre être et son côté « spirituel » n’est pas elle-même le résultat de toute une histoire, une histoire qui nous a fait passé d’un monde mythologique où l’homme ne s’est pas encore distingué de manière nette à la fois des animaux et des dieux, au monde qui est le nôtre, celui où règne la pensée rationnelle et où l’homme s’est défini comme appartenant à la fois à l’animalité par son corps et à la raison par son esprit. Ce passage d’un univers mythique à un univers logique s’est effectué dans la Grèce antique, et c’est donc d’abord vers elle qu’il nous faut nous tourner si nous voulons tenter de reconstituer la première étape de cette histoire occidentale du corps…..

Corps en Occident – texte intégral